jeudi 26 juillet 2007

Les dangers de la politique monétaire des Etats-Unis

Cet article de Philippe Even a pour but d’expliquer le contexte et les enjeux d’un échange entre Ron Paul et l’actuel Chairman de la Réserve Fédérale Américaine Ben Bernanke sur la politique monétaire des Etats-Unis (voir la video) le 18 juillet dernier.

Ron Paul aborde de nombreux problèmes dans le cours de cet entretien avec Ben Bernanke. Chaque phrase de Ron Paul mériterait un chapitre entier d’explications. Nous essayerons de faire simple.

Le business de l’exportation de monnaie

Les Etats-Unis sont exportateurs de monnaie. Cette situation leur confère un avantage certain. Chaque $ détenu à l’étranger et « dormant dans un coffre » est un prêt gratuit concédé au trésor américain. La situation de pays exportateur de monnaie est tellement avantageuse que de nombreux pays ont développé cette activité par le passé (notamment l’Autriche avec son Thaler* au XVIIIème siècle).

D’autre part l’essentiel des transactions sur les marchés des matières premières et même des produits manufacturés s’effectuent en $. Cela permet de « geler » sur ces marchés une masse colossale d’argent et qui ne revient pas aux USA sous forme d’inflation, les biens livrés contrepartie de ses dollars enrichissant de façon bien réelle les USA.

* Le mot dollar vient d’ailleurs du mot Thaler.

La confiance comme fonds de commerce

Pour que cet avantage persiste il faut trois conditions : la confiance dans la monnaie (capacité d’échange ou liquidité, stabilité de la valeur), sa disponibilité ; il faut pouvoir en disposer rapidement de montants adéquats nécessaires aux transactions les plus importantes (les valises de billets libellés en $ ne sont pas seulement un cliché)... Et bien sur son universalité.

La perte de la confiance en la monnaie d’un pays exportateur de monnaie provoque des catastrophes. Cela s’est déjà produit par le passé ainsi en 1873 l’Allemagne a connu un tel Krach. Celui ci a suivi le projet de démonétisation du Thaler prussien (abandon du bimétallisme par la Prusse). Ce Krach s’est déroulé d’une façon classique dans ce type de crise : rapatriement de tous les thalers détenus à l’étranger chacun cherchant à se débarrasser de ses thalers, inflation du prix des actifs dus à cet afflux de liquidités (immobilier, chemin de fers, banques), puis le Krach dès la première crise de crédit. Cette crise provoqua des réactions en chaîne et toucha ensuite le monde entier (faillite de banques américaines)… 26 annés de dépression suivit cette crise (la première grande dépression de l’ère moderne avant le crise de 1929).

Ron Paul est intimement persuadé que le $ va perdre à terme son hégémonie et sa place de monnaie mondiale de référence. De nombreux pays ont la tentation de où sont en train de lâcher le $. Ainsi L’Irak avant l’invasion de ce pays n’acceptait que de l’€ en échange de son pétrole, tiens c’est bizarre cette coïncidence, ils ont été envahi peu de temps après… C’est vraiment pas de chance.

Les mécanismes de création de monnaie de la Réserve Fédérale

La création de monnaie s’effectue par les deux leviers suivants :

- les déficits budgétaires (injection de liquidités par l’état dans l’économie) financés par des bons du trésor « treasuries » plutôt que par l’impôt (et donc financés par l’épargne mondiale),

- le « Boom » du crédit offert aux particuliers et aux entreprises par des sociétés financières qui s’empressent de titriser (revente sur les marché financiers) cette dette sous forme d’obligations ce qui permet de les « sortir » de l’actif du bilan des banques et de n’en assumer qu’une partie des risques.

Elle est facilitée par des taux historiquement bas sur les marché financiers:

- Taux de refinancement aux USA : 5.25 %,

- Taux sur le 10 ans 5.00 % actuellement…

Nous avons donc une inversion de la courbe des taux avec des taux longs inférieurs au taux d’intervention de la Federal Reserve.

L’arrêt volontaire de la Fed de l’information sur la masse monétaire

La croissance de la masse monétaire M3 (agrégat monétaire) est ainsi à peu près de +13 % par an en ce moment, cet agrégat est un bon « thermomètre » sur les marchés financiers (il permet de suivre la création monétaire et donc d’anticiper l’inflation). Ce chiffre (M3) n’est plus publié depuis mars 2006 par la banque fédérale. « On a préféré casser le thermomètre …»

On ne peut avoir à la fois une monnaie de qualité et de la monnaie en quantité, en fait la qualité de la monnaie dépend de sa rareté. Ceci est tellement vrai que la Banque centrale européenne a dans ses statuts un objectif de croissance de la masse monétaire dépendant du taux de croissance de la zone Euro augmenté d’une variable d’ajustement… L’Europe malgré sa banque centrale dotée d’un statut et de règles précises connaît aussi un boom du crédit et M3 croit de 10 % par an en ce moment dans la zone Euro.

L’inflation engendrée par cette création monétaire

Que provoque cet afflux de monnaie ?

Une inflation mais une inflation qui ne se voit pas dans les chiffres officiels. En effet il existe deux sortes de biens :

- les biens de consommation (facilement reproductibles)

- les actifs (immobilier, actions, obligations, matières premières, matières agricoles, œuvres d’art …) qui pour la plupart ne sont pas reproductibles à l’infini et dont l’offre à une très faible élasticité par rapport à la demande…

On observe que l’inflation est assez bien contenue sur les biens de consommation reproductibles à l’infini, mais par contre l’argent créé (argent facile) vient « polluer » les autres marchés (à faible élasticité de l’offre). On se retrouve ainsi avec des biens courants et bas de gamme à des valorisations ubuesques (exemple en Europe un 2/3 pièces de 50m2 à Paris 20ième proposé à la vente 269000 € - Bon courage pour l’acquéreur ;-)).

En somme Ron Paul dénonce un processus qui voit la production de biens durables croître de 3 % soit la croissance du PIB (GDP - fabrication de nouveaux actifs), quand la monnaie elle croit de 13 %. Il s’ensuit de manière évidente que les détenteurs nets de $ (épargnants) se sont appauvris par rapport à ceux qui détenaient des actifs par le biais de cette seule dilution (il y a un afflux de $ sans contrepartie réelle en terme de création de richesse).

Les raisons de cette croissance monétaire par le crédit

Pourquoi vivons nous un tel boom du crédit…

- les taux d’intérêt sont bas au Japon (0.5%), ceci est un non sens économique de laisser des taux aussi bas… Aucune reprise au Japon n’est possible avec un tel niveau de taux. Le Japon va continuer encore longtemps d’exporter sa crise tant que les taux resteront bas. Qui irait investir au Japon (ou acheter des actifs) avec des taux à 0.5% et se mettre en danger face à une remontée des taux dans ce pays ? Ce phénomène s’appelle une trappe à liquidités. Toutes les liquidités créées aux Japon viennent se déverser à flots continus sur nos marchés et non s’investir sur le marché japonais.

- Les taux d’intérêt à court terme ont été descendus à des niveaux ubuesques (1% aux USA, 2 % en Europe) suite au Krach des dotcom, et des événements de septembre 2001 et maintenus à ces niveaux trop longtemps… Les taux longs ont été contenus à la baisse pendant toute cette période par le replacement sur les marchés obligataires : des sommes dégagés par la vente de pétrole et de matières premières, les excédents réalisés par les marchés émergents, l’épargne mondiale, par des phénomènes de carry trade entre monnaie à faible taux d’intérêt (Japon) et monnaie à haut rendement…

- Comme indiqué précédemment les banques vendent sous forme de titres les dettes contractés, cela permet donc se sortir ces dettes de leur actifs et d’accentuer leur pouvoir de création monétaire… Encore faut-il trouver un acheteur à ce genre de dettes (les experts en rédaction de document de présentation – style Bibi Fricotin - de produits financiers à des investisseurs avisés – fonds de pension et autres gogos - ont de l’avenir)…

Des innovations financières rémunératrices mais aventureuses

Le jeu est de plus pimenté par les innovations financières (ou leur démocratisation) qui ont eu lieu dans la période récente. Les emprunteurs (particuliers) ont été choyés par les organismes de crédit comme ce n’est pas permis. J’ai beaucoup apprécié les prêts à taux « teaser » de style 2/28, les prêts à amortissement négatif, les prêts à taux variables non capés avec ajustement sur la durée puis sur la mensualité lorsque la borne de la durée maximale est atteinte. En France l’allongement de la durée des prêts initialement limités à 15 ans sont passés à 20 ans et ensuite 25, 30 ans et maintenant 50 ans… Les banquiers sont des philanthropes, ces gens là sont trop bons, cela les perdra… Il va y avoir des pots cassés mais en attendant ces philanthropes ont ; chose très importante ; touchés leurs commissions sur le contrat de crédit.

Règle générale chaque bulle voit son innovation financière et se termine lorsque qu’on entend cette remarque : « cette fois ci c’est différent ».

De nécessaires bulles à répétition permettent la continuité du système

Tant qu’une bulle remplacera l’autre le système pourra tenir de bric et de broc…

Ainsi à une bulle sur les technos en 2000 à succédé :

- une bulle sur l’immobilier qui est en train d’exploser aux US depuis fin 2005,

- une bulle sur l’or et les matières premières qui a vu son zénith en avril mai 2006, il n’est pas certain qu’elle ne fasse pas un nouveau plus haut cette année,

- une bulle sur les produits agricoles qui en train de se former (le blé a augmenté de 20 % en un mois dernièrement, sympa non),…

- bulle obligataire dans un état très avancé et une bulle sur le marché actions qui est en train aussi de se former.

Passons sur les bulles moins catastrophiques (pas d’impact sur la vie de tous les jours) et plus ludiques telle celle du marché de l’art… Eux, ils sont fous…

Une situation intenable à terme avec au bout une nouvelle grande crise ?

Que peut on penser de la situation ? Comme Ron Paul en est intimement persuadé et comme le sait aussi Ben Bernanke – sur le long terme la situation n’est pas « sustainable » (tenable)…

Mais si la fin est certaine dans un système où la dette privée pèse pour 330 % du GDP, la dette publique 70 % de ce même chiffre… car le dénouement en sera une crise… Celle ci pourra se dénouer de deux façons : inflation (les gens rembourseront leurs dettes avec de la monnaie de singe), ou déflation (les gens ne rembourseront pas leurs dettes, les biens seront saisis pour être « réalisés » aux conditions du marché afin de rembourser le créancier), et donc ce phénomène aboutira à terme à une destruction de monnaie…

Les paris sont ouverts. J’attends vos commentaires et vos pronostics… En fait le jeu consiste à savoir si Ben Bernake sera un nouveau Volcker, ou un nouveau Greenspan. A la décharge d’Alan Greenspan il convient de préciser que peu de temps après sa prise de fonction il a eu fort à faire…

Et n’oubliez pas «Ron Paul for president ‘08 !»

Philippe EVEN


Lectures :

39 leçons d’économie contemporaine de Philippe SIMONNOT chez Folio actuel

n° 61 – se lit comme un bon roman d’action et vous expose d’une façon claire tous les grands principes de l’économie… Idéal pour débuter…

Greenspan et le Krach de 1987

http://www.edubourse.com/guide/guide.php?fiche=krach-1987

Money is also destroyed by Michael Nystrom, MBA
http://bullnotbull.com/archive/money-1.html

Opening Statement Committee on Financial Services Paulson Hearing - Ron Paul

http://www.house.gov/paul/congrec/congrec2007/cr062007a.htm

avec deux phrases savoureuses de Ron Paul :

« It is said that the CPI is now increasing at the rate of 2.5%, yet if we use the original method of calculation we find that the CPI is growing at a rate of over 10%. »

« There are reasons to believe that the conditions we have created will be much worse than they were in 1979 when interest rates of 21% were required to settle the markets and reverse the stagflation process. »

Pour faire court les différents agrégats monétaires :

http://web.upmf-grenoble.fr/cepse/membres_cepse/walid/mmfp12money.pdf

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Très bonne analyse. Tu penches pour une sortie de bulle par inflation ou déflation?

Thierry

Anonyme a dit…

Interessant! J'aimerai savoir comment se proteger en pratique de ces bulles?

Gallatin a dit…

Ron Paul a indiqué comment il allait effectuer la sortie de bulle s’il est élu président des Etats-Unis en 2008. Seulement, il faut savoir où chercher... Petit voyage guidé dans l’univers de Ron Paul.

Dans un court article daté du 29 novembre 2005, et disponible à:
http://www.lewrockwell.com/paul/paul292.html
Ron Paul conclut son commentaire sur la nomination de Ben Bernanke à la tête de la Réserve Fédérale américaine en recommandant la lecture d'un livre du grand économiste de l'école autrichienne Murray Rothbard intitulé "What Has Government Done to our Money?" (en français: Qu'est-ce que le gouvernement a fait à notre argent?). Ce livre est disponible ici:
http://www.mises.org/money.asp
et se termine sur un article, toujours signé Rothbard, intitulé: « The Case for a 100 Percent Gold Dollar » (en français: « Les arguments pour un dollar 100% convertible en or »). Cet article peut être téléchargé ici :
http://www.mises.org/story/1829
Ses dernières pages énumèrent des étapes précises qui doivent être réalisées afin de garantir l’intégrité future de la monnaie. Cette série de mesures représente donc le point de mire de la pensée économique de Ron Paul.

Souvenons-nous que Ron Paul est un obstétricien de profession, et il n’est entré en politique qu’à cause d’un évènement : l’abandon de la convertibilité du dollar en or en 1971 par le président Richard Nixon. Ça l’a révolté et il s’est dit que quelqu’un devait faire quelque chose pour forcer le gouvernement fédéral à respecter la Constitution américaine. Si personne ne se levait, lui le ferait. Rappelons que ladite constitution interdit de frapper monnaie autrement qu’en or et en argent. Ce thème est donc fondamental pour Ron Paul, même si actuellement il met plus en avant son opposition de principe à la guerre en Irak.

Alors, quelles sont ces mesures ?

1) Geler le nombre de dollars en circulation. Une fois que toute création monétaire est interrompue, compter le nombre de dollars. Acheter de l’or sur le marché libre jusqu’à ce que le prix du lingot d’or sur le marché libre soit égal au nombre de lingots d’or détenus à la réserve de Fort Knox divisé par le nombre total de dollars en circulation.

2) Fixer de manière permanente la parité dollar-or à ce niveau-là. Autoriser tout détenteur de dollars à demander l’échange de ses dollars pour une quantité équivalente d’or. Liquider la Réserve Fédérale américaine. Donner à chaque possesseur d’un compte en banque le droit d’exiger un retrait immédiat de ses avoirs en dollars ou en or.

3) Permettre à n’importe quelle banque privée d’émettre des dollars en contrepartie de la quantité d’or qu’elle détient dans ses coffres. En quelque sorte, cela revient à privatiser l’émission de billets de banque.

4) Libérer le cours et le commerce du métal argent, afin qu’il puisse fluctuer au gré de l’offre et de la demande vis-à-vis de l’or et du dollar.

5) Remplacer le mot « dollar » par une unité de poids telle que « gramme d’or ». Le but ultime serait que tous les pays fassent de même, ce qui représenterait une fusion de toutes les devises nationales dans le « gramme d’or » universel.

6) Autoriser tout individu à fabriquer ses pièces d’or et d’argent à partir du métal pur.

Voilà. On est loin des concepts de « déflation » et d’ « inflation » : c’est bien plus radical que ça. Il me semble que la plupart des acteurs financiers, surtout les grosses banques d’investissement, sous-estiment actuellement la probabilité d’un tel scénario et ne sont absolument pas prêts à adapter leur mode d’opération à cette nouvelle donne financière. Il y a donc une opportunité pour se positionner intelligemment avant que les prix des divers actifs financiers ne reflètent cette possibilité.

Votez Ron Paul !

Gallatin.

Anonyme a dit…

ça n'a rien à voir, mais êtes vous le Philippe Even auteur d'un excellent ouvrage sur la gabégie aux hopitaux de l'APHP à Paris ?

Franky Bolds a dit…

@ gallatin

Bonne analyse.
Par contre, au sujet du "re"-positionnement d'intérêts en prévision de la bulle, j'aimerais souligner que par chance, peu de gens on eut cette idée lorsque JFK a annoncé son intention de sabrer dans la FED.
Quelques semaines plus tard, il était assassiné ... et la FED continuait son règne.

En bout de ligne, la seule manière de protéger ses actifs face aux probabilités qui s'annoncent, c'est d'en convertir un maximum en or. Comme d'hab. :)

Longue vie à Ron!

Dan a dit…

Le meilleur moyen de se protéger des bulles est d'emprunter. L'expansion monétaire que dénonçait si bien Von Mises est un impôt sur les créanciers. Je ne suis pas certain que l'or soit une valeur refuge. La contagion des bulles atteint l'ensemble des actifs : immobilier, actions, métaux précieux... Elle contamine. De plus l'achat d'or en France est lourdement taxé. Tout est conçu pour protéger le monopole de la banque centrale.

Avez vous vu la progression des agrégats M2/M3? Stupéfiant. C'est du +10 +15 par an. Toutes les choses ont une fin...

Anonyme a dit…

Je mise sur déflation.

Puis on se disait avec ma copine qu'on pourrait en profiter pour vivre d'un potager dans la nature. Mais ce serait sans compter que dans ce genre de situation, es marxistes reviennent au pouvoir et t'obligent à travailler dans ces camps d'éducation très charmants où on y apprend la solidarité et l'abnégation de soi.

Finance-Etudiant a dit…

Belle analyse, on voit avec le recul aujourd'hui que tu avais à peu pres bon partout :)